• ABTOUCHE Mansour

     

    Entretien avec El Hadj Mansour ABTOUCHE, Ancien gardien de buts du MCA de 1943/1953 et Président de la JSK (1963/1973) :

    'Le Mouloudia était le symbole de tout un peuple'

     

    C'est à Zellal, l'un des plus anciens quartiers de la Haute ville de Tizi Ouzou (ou "Taddart" comme aiment à l'appeler ses habitants), et dans la maison où il est né le 10 avril 1918, que nous avons rencontré EL Hadj Mansour Abtouche, ancienne gloire du football algérien d'avant l'indépendance.
    Aujourd'hui âgé de 88 ans et père de 14 enfants, El Hadj parait fatigué, s'exprime difficilement, mais il jouit de toutes ses facultés mentales et d'une mémoire si fraîche que l'on a envie de rester avec lui le plus longtemps possible pour nous abreuver de ses souvenirs et de ses anecdotes sur l'histoire du football et de ses clubs préférés le MCA et la JSK.
    La joie de nous recevoir se lit sur tout le visage de El Hadj Abtouche, et son étreinte témoigne si besoin est de son amour pour les jeunes, de sa modestie et de son sens de l'hospitalité, que nous ne cesserons de constater tout au long de notre entretien.
    Issu d'une famille originaire d'Agouni Bouafir dans la région de Mekla, ses parents se sont installés à Tizi Ouzou dans cette demeure même qu'ils ont construit de leur propres mains. Des photos et des diplômes décorent tous les murs de la maison de Ammi El Hadj et témoignent de son passé de footballeur ainsi que de la reconnaissance de la famille sportive et des autorités pour son parcours et pour les services qu'il a rendu au sport algérien en général et au football en particulier. A travers ces photos illustrant sa carrière, il nous est facile de deviner que Abtouche a vécu par et pour le football. La réputation de Abtouche est tellement grande que l'on retrouve aujourd'hui ses photos en vente dans les boutiques spécialisées à travers les anciennes cartes postales et photos d'Alger. Il est devenu une icône de la capitale des années 1940 et 1950.
    En sortant dans la cour de la maison de El Hadj Abtouche, nous avons eu l'impression de revenir d'un voyage dans le temps. Un voyage qui nous a fait découvrir une époque où l'on jouait au football par passion et pour le plaisir, car à cette époque là il fallait faire autre chose pour gagner sa vie. Le football n'était pas un travail. En sortant de la maison, nous revoyons le visage de El hadj s'illuminer en parlant de sa passion, et puis s'assombrir en évoquant les deux drames de sa vie et sur lesquels il reviendra à maintes reprises : son arrestation par les Français et la nationalisation de son entreprise par l'Etat algérien.

    Racines - Izuran : Votre père ne voyait-il pas d'un mauvais œil votre passion pour le football ?

    Mansour ABTOUCHE :
    Mon père me disait toujours de m'occuper de mes études au lieu de courir derrière le ballon. Il aurait aimé que je consacre mon temps à mes cours surtout que j'étais un élève brillant. Mais le football était ma passion. J'avais quand même obtenu mon certificat d'études en 1931. C'était un diplôme très important à l'époque.

    Comment êtes-vous venu au football ?

    A 17 ans, j'ai été recruté en tant que gardien de but à l'OTO (Olympique de Tizi-Ouzou), un club créé par les colons. Bien avant la création de la JSK, que j'ai vu naître plus tard. En 1940 j'ai été appelé au service national. Ayant été remarqué par un adjudant chef de l'armée coloniale, ce dernier m'a forcé à jouer pour le GALIA, une équipe composée essentiellement de juifs. Mais je n'ai joué avec ce club que quelques matchs en une demi saison. Le climat de racisme qui y régnait m'a poussé à le quitter après une dispute avec certains dirigeants.
    En 1943, le regretté chanteur de châabi El Hadj Mrizek, alors dirigeant du MCA, m'a encouragé et proposé de signer avec le Mouloudia. C'était le seul club musulman de l'élite de l'époque, donc j'ai porté les couleurs de ce grand club comme gardien de buts titulaire durant une décennie de 1943 à 1953.

    Avez-vous gagné des titres avec le Mouloudia ?

    Il était impossible au Mouloudia de gagner un titre devant les autres équipes européennes car les dirigeants de la Fédération, les arbitres, et les journaux faisaient tout pour l'en empêcher. Ils travaillaient tous la main dans la main et usaient de tous les moyens pour contrecarrer et exclure ce club musulman d'accéder à un titre quelconque. Et dire que le Mouloudia d'Alger était la meilleure équipe de l'époque et elle était composée des meilleurs joueurs.

    Pourquoi ?

    Le MCA était un club musulman et le plus populaire de l'époque. De ce fait, il représentait toute une population avec tous ses sentiments et toutes ses aspirations. C'est grâce à ce club que les autres régions ont pris exemple pour créer des associations sportives musulmanes.

    De quoi viviez-vous à l'époque ?

    Durant mon passage de 10 ans au Mouloudia, je travaillais chez Hadj Tiar, qui exportait des produits agricoles et qui était aussi le Président du Mouloudia. C'est l'oncle de l'ancien Ministre de la jeunesse et des sports, Aziz Derouaz. J'avais même pesé de mon poids pour qu'il embauche dans son entreprise des joueurs de la JSK qui étaient en situation sociale difficile. On ne gagnait pas de l'argent avec le football, même les entraîneurs à l'époque étaient des bénévoles.

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    Comment est née la JSK?

    Une première tentative de créer un club musulman à Tizi-Ouzou, "l'Association Sportive de Tizi Ouzou", a eu lieu en 1943. C'était Maître Sidi Said Hanafi qui en était à l'origine. C'est en 1946, à la fin de la guerre mondiale, que l'idée de créer la JSK a resurgi parmi des personnes telles que Ramdane Kara, Abbas Mohamed et Oumerzouk Mohamed qui vont déposer un dossier à la Fédération de football française (FFF) pour participer au championnat. Le sous-préfet de la ville de Tizi-Ouzou à l'époque, un certain Ferré, a juré de tout faire pour que le club n'obtienne pas d'agrément, parce que les fondateurs étaient nationalistes, étant déjà connu pour leurs attaches syndicales. C'est à ce moment là qu'est intervenu Achour Mohand, député à l'assemblée Française, qui sollicita son collègue, un certain Maurice Thorez, député communiste Français. Ce dernier a pu convaincre les hautes autorités coloniales de l'époque d'accepter de signer l'agrément en question. C'est comme ça que la JSK a été officiellement reconnue comme un club de football. Après mon départ du MCA en 1953, j'ai joué pour la JSK quelques saisons.

    Avez-vous été sélectionné en équipe nationale ?

    J'ai été international militaire en 1946 avec Smail Khabatou, Abdelaoui, Déguégué et Oualikene Moh, entre autres.

    Vous avez été emprisonné par l'armée coloniale ?

    Durant la guerre de libération, j'étais employé comme représentant commercial chez B.G.A (Brasserie et Glacière d'Algérie) et j'étais en même temps chef de Front à Tizi Ouzou, jusqu'au jour où j'ai été arrêté à Tamda par les services de sécurité français en 1955. J'ai été transféré à Bouzareah où j'ai été torturé deux fois par jours pendant un mois. Puis je fus transféré à Barouaguia jusqu'en 1958. J'ai continué mon devoir de militant nationaliste jusqu'à l'indépendance de mon pays.

    Après l'indépendance, qu'êtes vous devenu ?

    En 1963, j'ai été contacté par le colonel Mohand Oulhadj, allah irahmou, pour prendre en charge la relance des activités sportives dans la wilaya III. Ma mission consistait à créer des associations dans les différentes disciplines à travers toute la wilaya. La tâche était très difficile, mais avec la volonté et la solidarité de tous, nous avons réalisé tout ce qui nous a été confiés notamment la restauration du stade OUKIL Ramdane, la création du championnat de wilaya et de la direction de la ligue de football. J'ai été élu 1er Président de la JSK en 1963. J'ai présidé le club durant une dizaine d'années. Sous ma présidence la JSK a accédé en division II, puis en Division I et enfin obtenu son premier titre de championnat D1 en 1973.

    Que vous a apporté le football ?

    Le bonheur et la reconnaissance des autres.

    Est-ce que vous avez un fils footballeur ?

    Malheureusement! Non. Aucun de mes quatre fils n'a suivi mon chemin.

    Votre domicile est truffé de portraits, photos, récompenses et autres diplômes relatifs à votre carrière footballistique.

    Cela retrace ma modeste carrière de footballeur, dont je suis fier. Je tiens à saisir cette occasion pour remercier mon ancien club le MCA qui m'a honoré à plusieurs reprises en me décernant une médaille d'or ainsi que la JSK, l'association Ouled El Houma, les autorités locales notamment la commune de Tizi-Ouzou, le wali, l'APW et UNJA qui m'ont tous rendu des hommages de mon vivant. Je suis vraiment comblé.

    Quelle équipe supportez-vous la JSK ou le MCA ?

    Je suis de très près les parcours de l'une et de l'autre. Mon cœur balance entre les deux équipes. Lorsqu'elles se rencontrent, je souhaite toujours un match nul.

    Etes-vous en contact avec les anciens joueurs de la JSK ?

    Souvent d'anciens joueurs viennent me rendre visite à l'instar de Arezki Koufi, Ali Belahcene (ex gardien de buts), Mustapha Rafai et tant d'autres. L'actuel Président de la JSK, Moh Cherif Hannachi me rend souvent visite. Nous parlons de sport et échangeons des points de vue sur le présent et l'avenir de la JSK. Je dois dire qu'il fait du bon travail pour le club et je pense que c'est le seul qui est capable de ramener de l'argent au club à travers les sponsors. La JSK m'a de tout temps honoré. Et je suis toujours son président d'honneur.

    Quelles sont vos relations avec votre ancien club, le MCA ?

    Abdelkader Drif, l'ex-Président du club est venu me voir à maintes reprises. Le Dr Messaoudi m'a rendu visite deux fois pour m'exprimer la reconnaissance des enfants du club. Je suis très content de toutes ces marques de sympathie. Ils m'ont beaucoup honoré et j'ai passé des moments inoubliables avec cette grande équipe qui a fait la fierté de l'Algérie.

    Les acteurs français Roger HANIN et Robert CASTEL étaient des amis à vous ?
    L'année dernière, lors de sa visite à Alger, Roger Hanin à demandé après moi. On ne s'est pas vu depuis 1978 quand on s'est rencontré à Paris. Roger est un bon ami. Avec Robert Castel, qui est également un ami, ils étaient de fervents supporters du Mouloudia d'Alger.

    Quel est votre meilleur souvenir en football ?

    Le match entre la JSK et l'équipe nationale militaire française qui comptait plusieurs internationaux et qu'on a battu 3 à 2 vers l'année 1954/55 au stade de Tizi-Ouzou.

    Le pire ?

    Le Match amical MCA - Bohémiens de Prague, une équipe tchécoslovaque qui nous a battu 11 à 0.

    Quel est l'homme politique qui vous a marqué ?

    Ferhat Abbas.

    Quels sont vos loisirs ?

    La lecture. J'ai beaucoup lu, surtout les livres d'Histoire. Maintenant, je suis vieux, je peux à peine lire les gros titres d'un journal.

    Votre chanteur préféré ?

    El Hadj Mrizek et El Hadj Mhamed El Anka.

    Que conseillez-vous à un jeune qui veut faire une carrière dans le football ?

    La discipline, le sérieux dans le travail et l'amour pour les couleurs de son club.

    Quel est le meilleur coéquipier que vous avez apprécié durant votre carrière ?

    Feu Hacène Hammoutene qui jouait avec moi au MCA.


    Dimanche 17 Septembre 2006 Entretien réalisé par Mouloud Abadou et M. Azwaw

    « L’Italien Enrico Fabbro nouvel entraîneurLa crise du MCA vu par son ancienne vedette »

  • Commentaires

    10
    marie-lou pantz
    Jeudi 19 Juin 2014 à 12:30
    Bonjour, Je suis très intéressée par l'Histoire du Mouloudia Club d'Alger et je me demandais où vous aviez trouvé toutes ces archives? Existe-t-il un musée du club? Pouvez-vous me contacter à mon adresse mail afin que nous puissions en discuter? En tout cas bravo pour votre travail d'historien, c'est impressionnant tout ce que vous avez réussi à collecter! Bien à vous, Marie-Lou
      • sebbar1 Profil de sebbar1
        Mardi 24 Juin 2014 à 16:42
        merci à vous, c'est des archives que j'ai pu collecter avec le temps et le concours de plusieurs amis et anciens sportifs que je remercie au passage en attendant de le compléter encore plus car il existe beaucoup de manque notamment durant la période de guerre 39-45...merci pour votre intérêt pour notre Mouloudia, je vais vous écrire sur votre mail avec grand plaisir.Amicalement
    9
    kahia
    Vendredi 21 Mai 2010 à 16:51
    MERCI BIEN HADJ ABTOUCHE ET VIVA JSK ET MCA
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    8
    sebbar1 Profil de sebbar1
    Mardi 6 Octobre 2009 à 21:01
    merci KAHIA pour ton commentaire....Allah yerham Abtouche...VIVE JSK et MCA
    7
    KAHIA DE RUISSEX
    Jeudi 1er Octobre 2009 à 21:37
    MERCI ABTOUCHE ET VIVA JSK ET MCA
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