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    C'était en 1918...

    De jeunes écoliers dont le plus âgé n'avait pas 18 ans, décidèrent de donner forme et vie au rêve qu'ils caressaient depuis que leurs yeux s'étaient ouverts sur un monde ou une loi de jungle régnait, ou le fort s'octroyait la part du lion et ou le petit n'avait aucun droit de parole ou de contestation.

    Le sang bouillant de l'algérien circulait dans leurs veines. Le tonnerre de la révolte grondait en eux. Ils voulaient prendre l'arme fumante de leurs pères, qui ne s'est d'ailleurs jamais tue, et continuer la lutte contre l'oppression et l'injustice sur un autre front : le front sportif. Leur but, d'une noblesse exemplaire, était de montrer a un monde incrédule, que les hommes sont égaux et que ceux qu'ils croyaient faibles ou petits, étaient capables de se battre et de gagner.

    Faisant preuve d'une témérité inouïe, ignorant jusqu'au moindre repos, délaissant leurs propres affaires, jetant a terre leur préoccupations personnelles et leurs problèmes familiaux, ils travaillaient d'arrache-pied dans le silence et l'anonymat, désirant de toutes leurs âmes réaliser ce qu'on pouvait alors qualifier d'impossible ou d'utopique.

    Penser a donner aux colonises que nous étions, une place dans le monde sportif, était, il faut le dire, une entreprise aussi ardue que périlleuse, qu'aucun avant eux n'avait pu ou ose entreprendre.
    Les démarches auprès des instances militaires et administratives se succédaient, ne semblant nullement accepter une fin. Les demandes, les notes tombaient a un rythme fou d'une vieille machine a écrire sur un bureau poussiéreux et branlant qu'on avait place dans un coin d'une cave, qui était la, le nid de ce groupe d'oiseaux qui demandaient a voler de ses propres ailes, l'antre de ces indomptables lionceaux et tout le bien dont ils disposaient.

    Chacun apportait ce qu'il pouvait; chacun versait ses litres quotidiens de sueur et de sang; chacun venait avec ses vagues d'espoir et de projets et repartait avec le lourd fardeau d'une mission a accomplir; aucun ne ménageait sa force ou ses moyens. Tous s'usaient contre les murs de la haine et de la violence. Tous se déchiraient contre les obstacles qui se dressaient inopinément sur leur chemin. Les yeux restaient aveugles et les oreilles sourdes a leurs supplices, mais des coeurs gonfles d'un idéal digne d'éloges et de louanges battaient a se rompre dans leurs poitrines jeunes et frêles.

    Ni l'hostilité de l'occupant qui tremblait de peur devant le brusque éveil patriotique et la maturité de ces esprits d'adolescents, ni l'incompréhension des "vieux" auprès desquels ils cherchaient aide et appui et qui n'acceptaient pas l'idée de voir des "musulmans" jouer avec la tète du "Cid Ali", ne les arrêta.
    On lisait sur leurs visages imberbes la décision farouche de réussir, la ou personne dans ce temps n'avait ose même pas se hasarder. Ils voulaient élever l'algérien sur un piédestal et lui donner une équipe, et une place sur le podium.

    Après un travail de "titans", le CSA - Club Sportif Algerois naquit (nous sommes en 191. Mais la machine destructrice allait se mettre en branle. Les colonisateurs devinaient en la naissance de ce club, une affirmation de l'algérien, une remise en cause du système colonial établi, une revendication a l'autodétermination.
    "Pourquoi voulez-vous avoir un club?", leur disait-on. "Vous pouvez jouer dans les équipes françaises".

    Oui, ils pouvaient jouer; pas plus d'un par équipe et encore son rôle, aussi absurde et aussi drôle que cela puisse paraître, n'était pas sur les stades, mais dans la rue en tant que guide ou interprète.
    Des hommes sans scrupules, se livraient dans l'ombre a une obscure besogne. Une idée fixe, infâme et vile les hantait : ronger, détruire, saccager ce que les enfants de l'algérien avaient su dresser tel un mur devant eux. Les décisions pleuvaient, les lois s'inventaient. On attendait fébrilement une occasion. Et lorsque cette dernière vint une année plus tard, avec le désordre qui eut lieu au stade de Marengo (Hadjout actuellement) conspire par des instigateurs, la dissolution du Club Sportif Algerois, fut a la satisfaction des nantis, promulguée.
    Mais il fallait plus pour briser la volonté inébranlable, la persévérance et la foi qui animaient les coeurs de bronze.
    Ils se remirent au travail avec plus d'ardeur et d'acharnement, détermines plus que jamais a donner a une Algerie meurtrie, humiliée, blessée dans son amour et sa fierté, la palme qui lui revenait de droit.

    Deux ans plus tard le MCA - Mouloudia Club d'Alger - naissait (août 1921), avec la ferme résolution de se tailler a coups de serpe et de dents sa part de gâteau du domaine du monstre.
    Alignant une équipe de joueurs, qui faute de maillots, endossèrent ce jour la, l'un sa chemise, l'autre son tricot, d'autres étaient même torse nu, le Mouloudia joua le premier match de son existence sur un terrain vague du cote de la Pointe Pescade (Rais Hamidou), face a l'Elan de Babel Oued, et perdit sur le très lourd score de 6 a 0.

    Extraits de la Revue "Le Doyen". 1976

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