• Un faux préjugé de casseurs

    Plongée dans le chaudron de Bab El Oued
    Si par hasard le Mouloudia perd jeudi, nous allons transformer le stade du 5 Juillet en une carcasse. » Ce supporter du MCA, qui ne croit pas un seul instant que son équipe favorite puisse rater la finale, annonce la couleur de ce qui attend les Algérois si - à Dieu ne plaise - l’euphorie d’avant-match vire au cauchemar de la désillusion au soir de jeudi.

    Hamid n’est pourtant pas un jeune désœuvré qui, faute de mieux, noie son chagrin dans cette ambiance électrique de ce choc algéro-algérois entre le MCA et l’USMA. La quarantaine bien entamée, il marie agréablement foot et commerce. Propriétaire d’une petite boutique de vente de vêtements sportifs non loin des Trois-Horloges, Hamid s’est déjà mis à l’heure du match. A l’ambiance plutôt. La façade de sa modeste échoppe est bariolée de différentes variétés des maillots du Mouloudia. « Chenoui jusqu’à la mort kho ! », fit-il fièrement. Bien que quelques maillots rouge et noir de l’USMA pendent sur les porte-manteaux de son magasin, commerce oblige, Hamid souhaite presque que personne ne vienne lui réclamer ce maillot « maudit ».

    Guerre psychologique

    Il confie d’ailleurs avec beaucoup de joie qu’il n’en a vendu qu’une infirme quantité. En revanche, les maillots du Mouloudia s’écoulent comme des petits pains. Il se fait un malin plaisir de raconter « la mauvaise affaire » de son ami, supporter de l’USMA, qui a inondé son magasin de maillots aux couleurs de ce club et qui aurait du mal à les liquider. « Ya kho, Bab El Oued gaâ Mouloudia ! » (Tout Bab El Oued est mouloudéen). Ce quartier mythique de la capitale, qui sert également de baromètre social de la contestation, est le lieu privilégié où se joue le premier match entre supporters. La guerre des nerfs. La guerre psychologique. A ce niveau, il y a visiblement un déséquilibre flagrant des forces en présence. Pendant que les fans du Mouloudia occupent ruelles et venelles à force de drapeaux, de cache-nez, de maillots, à crever les tympans de tout le quartier par les airs endiablés de deux « chanteurs » amateurs, les Usmistes, que les Chnaoua appellent « Msaméîya » se font discrets, à croire que la fête ne les concerne pas. « Le match se jouera sur le terrain », répond Amine à cette grappe de Mouloudéens qui le chambrait dans un fast-food près de la DGSN. Les supporters de l’équipe chère à Allik sont pratiquement absents du décor « bab el-ouédien » planté par les Chnaoua qui ont véritablement pignon sur rue. Il se dégage une ambiance d’un match déjà gagné d’avance. Tout se passe comme si les milliers de fans du MCA n’attendent que le coup de sifflet final pour festoyer. L’euphorie est telle que même les détails pratiques d’après-match et les itinéraires à parcourir par les cortèges sont d’ores et déjà réglés. Bref, on est en plein dans l’après-match. Sinon... « Nous n’avons jamais perdu une finale et ce n’est pas contre l’USMA qu’on va la rater. » Cette assurance de Kamel sonne déjà comme une déclaration de guerre. « Nerrebhou wella n kheltouha ! » (Nous gagnons, sinon ça va chauffer), avertit aussi son ami. Les supporters du MCA sont convaincus que la victoire ne pourra leur échapper « sur la pelouse ou dans les gradins ». D’autres encore se font plus agressifs en promettant un 5 octobre au 5 Juillet... si jamais l’USMA l’emportait. Pour « le peuple » du Mouloudia, il n’est pas question de se mettre dans la peau d’un vaincu d’un simple match de foot. Surtout pas contre les frères ennemis de l’USMA. Le match de jeudi, c’est le leur, à eux seuls. « Dès 9 h, on envahira le stade du 5 Juillet et nous ne laisserons qu’une partie du virage aux gens de l’USMA. » A Bab El Oued, vous avez la nette impression que ce match de foot risque de provoquer des « dommages collatéraux » quand on observe le survoltage émotionnel dans les propos de ces jeunes et même des adultes fans du Mouloudia qui ne jurent que par la victoire. Le chaudron de Bab El Oued annonce déjà la couleur de ce que sera l’ambiance dans les gradins, mais surtout à l’extérieur du temple olympique.

    La bataille à pleins décibels

    Cette tension paroxystique fait que certains amoureux du club de Soustara souhaitent sincèrement que le MCA gagne sa coupe. « On sait jamais kho, ces gens sont capables de tout. Mieux vaut leur donner la coupe, sans même jouer le match, pour éviter l’irréparable. » Ce constat alarmiste a priori est pourtant partagé par beaucoup de personnes, y compris par ceux qui ne sont ni dans ce camp ni dans l’autre. Au-delà de la fête, il y a donc cette peur qui plane sur un match manifestement à haut risque. Bab El Oued dégage en tout cas une atmosphère de branle-bas de combat. Quand vous déambulez dans les artères de Bab El Oued, vous êtes vite happé par ces sonorités typiquement mouloudéennes qui vous invitent à partager l’ivresse des Chnaoua. Deux jeunes mordus du MCA ont composé 13 chansonnettes à la gloire des Vert et Rouge. Le CD et la cassette battent tous les records de vente. Tous les disquaires vous accueillent avec ce tube de l’été qui chauffe à blanc la galerie du MCA à deux jours de la grande explication. « J’en ai vendu plus de 200 depuis ce matin », avoue l’un d’entre eux qui possède un magasin sur la rue principale de Bab El Oued. Notre interlocuteur n’ose même pas faire le parallèle avec l’autre CD dédié aux Rouge et Noir. « Chkoun yechri l’USMA ? », plaisante-t-il et de préciser qu’il est lui-même « chenoui ». Les automobilistes sillonnant le quartier marquent de manière ostentatoire leur appartenance en allumant à fond ce fameux album qui fait oublier cheb Toufik, histoire de narguer les Usmistes. Editées par Arts des arts, les chansonnettes de Mouloudia Chnaoua sont avalées comme un véritable anabolisant par les amoureux du MCA. A l’image de ces derniers, les chanteurs ne se font aucune illusion sur l’issue du match. « Rana mâawlin, b rebbi n’challah rabhin ! », proclament-ils dans l’un de leurs refrains. Evidemment, le club de Soustara et ses supporters en prennent pour leur grade dans cet album. Morceaux choisis : L’USMA wlad el hamra n rabhoukoum zkara, ou encore le très osé refrain : Ittihad enessouane Naïma ou Hanane. Le ton monte parfois pour virer carrément au langage guerrier qui fait craindre le pire. Oulad el hamra la camorra ; Chenoui ma yewilch l’lor ; Omri chauvin men bekri ; Chenoui kamikaze ; Chenoui mekhelwi kima mdari sont autant de slogans qui ne rassurent pas les puristes et les amateurs du beau football. Les Rabhine ou rebbi kbir et Hadh el âm fi Bab El Oued défilé, entonnées à pleines gorges, donnent certes une grosse assurance d’un lendemain qui chante, mais rien ne dit que le match est déjà joué. La confrontation entre le MCA et l’USMA se joue aussi sur le terrain... commercial. Tous les quartiers de la capitale, Bab El Oued surtout, sont inondés de petits commerçants occasionnels qui tentent de tirer des avantages « comparatifs » de ce duel. Maillots, chapeaux, drapeaux, épinglettes, fanions, broches, gourmettes, autocollants, cache-nez, ensembles... Tout se vend. Un commerce juteux dont l’argent n’a pas forcément d’odeur. Des Chnaoua n’hésitent pas à étaler des objets aux couleurs de l’USMA et vice-versa, même si le cœur n’y est pas. D’autres encore n’ont rien à voir avec les deux clubs et profitent allégrement de cette rente bénie, à l’image de Nassim qui a installé une table à la place les Andorre, arborant un maillot de l’USMA et coiffé d’un chapeau vert et rouge. « Comme cela, ça marche mieux, je vends à tout le monde », dit-il. Les acheteurs ne sont pas spécialement des adolescents. Nous avons même aperçu des femmes voilées négocier des vêtements probablement pour les enfants. A Bab El Oued, vous trouverez une famille divisée en deux camps. De véritables frères ennemis dont les discussions passionnées et les échanges à fleurets mouchetés vous laissent pantois. Demain, c’est la veillée d’armes. Les Chnaoua avertissent leurs effectifs que « les tickets et les cachets seront épuisés mercredi ». Eh oui ! après la bataille de la musique et celle du commerce, il semble y avoir une autre bataille, « mentale » celle-là, qui consiste à se procurer « lkachi » pour pouvoir se « shooter » le jour du match et affronter la grande bataille. Celle que tout le monde attend. Malheur au vaincu !


    Hassan Moali

    « "on est pas des casseurs"Une leçon de sportivité »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :