• MCA 1949-1950

    Hadj M'Rizek

    ou La Casbah, le Mouloudia d'Alger et le chaâbi au cœur


     de Abdelhakim Meziani
    Publié dans Liberté le 13 - 02 - 2010

     

    Repliée sur elle-même, depuis plusieurs siècles déjà, exactement depuis l'assassinat du roi Sélim et-Toumi par Aroudj Barberousse, la société algéroise a pourtant donné le meilleur d'elle-même dans la prise de conscience du fait national et l'émergence d'une dynamique culturelle salutaire. C'est dans cet esprit d'ailleurs qu'intervient la naissance du Mouloudia Club d'Alger, un espace d'expression qui va jouer un rôle déterminant dans la conscientisation des citoyens. Expression culturelle par excellence, le sport allait ainsi contribuer, dans ce cadre, à la promotion et à l'épanouissement de jeunes Algériens qui ne se reconnaissaient nullement dans le projet de société de la caste coloniale. Dans cet univers de souffrances et de violences, me confiera mon ami Omar Dib, le rappel incessant au passé glorieux, la défense du patrimoine culturel et artistique, les poèmes et les chants citadins constituèrent l'une des formes les plus actives de la résistance face à l'occupant. Ce qui fit dire à Charles-Roger Ageron que les poètes et les initiateurs d'un tel mouvement ont bien mérité de leur peuple. Ils se sont montrés des gardiens vigilants. Ils ont dit, jusque dans leur désespoir, l'invincible espérance d'un peuple croyant que l'aube du siècle dernier galvanisa, annonciatrice qu'elle était de bouleversements en profondeur et de l'émergence de potentialités religieuses, artistiques, intellectuelles et sportives insoupçonnées. Lorsqu'en 1930 naît l'association El-Djazaïria, la première société musicale musulmane, en pleine célébration du Centenaire de la colonisation, les milieux citadins ne manquèrent pas de pavoiser, tournant en dérision la culture de l'autre. Les rapports fructueux, qui s'établirent alors entre le Mouloudia et les défenseurs du patrimoine musical classique algérois, allaient contribuer valablement à l'émergence d'une vie artistique et culturelle refondatrice. C'est ainsi que le patrimoine musical citadin trouvera en le Mouloudia Club d'Alger un partenaire idéal qui mettra à sa disposition ses propres structures tant pour les répétitions que pour les concerts qu'animaient, à l'époque, de l'école musicale classique algéroise, Mohamed Benteffahi et Mahieddine Lakehal. La même expérience sera renouvelée avec El-Mossilia, en 1932, puis Gharnata El-Mizhar, sans oublier El-Hayat, jusqu'au jour où le chanteur nationaliste Hadj M'Rizek, par ailleurs athlète du Mouloudia, enrichit cet espace par l'introduction de concerts chaâbis. Pour Hadj M'Rizek, le MCA n'était pas un club ordinaire. Il était, et demeurait, à l'image de La Casbah qui nous avait vus naître, le fer de lance civilisationnel et culturel d'une société qui avait brillé, et brille encore, par son raffinement, son savoir vivre et son savoir-faire. Né à la rue de Thèmes, un des espaces emblématiques de La Casbah d'Alger, élégant autant que respirant à merveille la citadinité, c'est au Mouloudia d'Alger, où répétait une association de musique andalouse, qu'il enrichira sensiblement, sous la direction du grand maître, Cheikh Ahmed Shaïtane, son répertoire de musique classique algéroise, de aâroubi et de hawzi. Sa reconnaissance était telle qu'il se mit, sans discontinuer, au service d'un club dont il renforcera les assises en intégrant son conseil d'administration d'abord, avant de l'immortaliser avec une chanson, particulièrement connue, “Ô toi qui veux pratiquer le sport, rejoins le Mouloudia, le club le plus populaire d'Afrique du Nord”.  


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  • RABER MOHAMED

    "Ennemss"

    La plume du Mouloudia

     

    BILLETTISTE TALENTUEUX, MOHAMED RABER TIRE SA RÉVÉRENCE 
    Adieu l’artiste, adieu le printemps

    Par Youssef Zerarka


    L’artiste s’en va. Mohamed Raber s’est éteint, mercredi 16 avril 2014 en fin de matinée, au milieu des siens à Fontaine-Fraîche (Oued Koriche). «Moh Raber» — c’est ainsi que le Tout- Bab El-Oued l’appelait — a rendu l’âme, emporté par une brusque et irrémédiable maladie. Il avait 62 ans. Hospitalisé voici deux mois au CHU Lamine-Debaghine (Maillot), il y est resté quelques jours avant de se décider à rejoindre le domicile familial et tenir compagnie aux siens, en homme attachant.
    Fidèle à l’image qui a toujours été la sienne, «Moh» a choisi la date de son départ. Il s’est fait accompagner à sa dernière demeure à l’aube du printemps, sa saison de prédilection. Pour l’avoir chéri à n’en plus finir, Bab El-Oued sait mieux que quiconque la belle histoire d’amour entre «Moh Raber» et «Fasl Errabie». Au demeurant, cette relation s’est rappelé au souvenir de Moh quand, à l’heure de s’exercer au métier de journaliste, il a choisi d’abord la signature de «Cheikh Rabie». Sa saison préférée, c’est le printemps qui, contrairement à l’idée reçue, dure non pas trois mois mais douze. En homme qui aime la vie, il se fait un plaisir de chanter un hymne à la vie. Et le meilleur des hommages que moi, oulid houmtou, je suis tenu de lui rendre, c’est de parler de lui — et plus que jamais — au présent de narration, jamais à l’imparfait ou au passé simple. Sinon, de là où il est, il m’en voudrait à vie et me lancerait en plein visage : «hram alik Youssef, tu parles de moi au mode posthume de ya hasratah ala ma madha. Tu vois, regarde, je suis toujours là, plus que jamais rayonnant !» «Moh Raber» a raison, je ne peux me permettre de l’évoquer au passé posthume. Et pour cause ! Je le dis en connaissance de cause, j’en témoigne pour t’avoir observé de visu des décennies durant. Qu’il pleuve ou qu’il vente, tu passes ton temps à pourchasser la grisaille, à balayer le maussade et à vaincre la mélancolie, pas la tienne car elle ne rôde jamais autour de toi, mais celle des autres. Ta saison à toi — j’en témoigne pour ceux qui ne te connaissent pas — est une saison étalée dans le temps. C’est une saison de toutes les couleurs, de toutes les espérances et des sonorités les plus mélodieuses. A ceux qui ne te connaissent pas, je livre — en m’adressant à toi — ce témoignage et il est loin d’être une formule imagée. «Dans Bab El-Oued constamment drapé de son ciel bleu azur, tu es une floralie ambulante. As-tu oublié le collier de jasmin qui tu aimes tant mettre autour du cou ? As-tu perdu de vue la feuille de menthe, cette «naânaâ» parfumée qui orne ton oreille ? Et que dis-tu du «mesk ellil» qui accompagne tes soirées et les soirées de ouled houmtek ? Cher Moh, loin de moi l’idée de te tresser des lauriers à l’heure de ton départ. Je ne fais que restituer les images de floralies qui ont toujours été les tiennes, que tu sois habillé de ton pantalon «Levis» blanc immaculé des samedis après-midi, de ton Bleu de Chine-Shangaï marié au tee-shirt marin qui te va à merveille quand tu longes le boulevard du Front de mer, ou de ton deux-pièces taillé sur mesure qui t’enjolive comme un «aârous» à chaque rendez- vous avec un récital du Cheikh El Hachemi Guerouabi». Je sais que la maladie de ces derniers jours t’a un peu fatigué. Mais permets-moi de te rafraîchir la mémoire. Au présent de narration, pas au passé posthume. Te rappelles-tu de la fêté organisée au 1, bd Basta-Ali (ex- Provence) à l’occasion du mariage de notre ami Mustapha «Moustique». Accompagné du meilleur de ses orchestres — le regretté Mahieddine au banjo, Youcef au violon, le regretté Alilou à la derbouka et le regretté Moh Akli au tar, El Hachemi — Allah yarhmou — est face à toi. Le jasmin décore la scène du cheikh telle une belle guirlande et orne ton cou. Comme toujours. Avec l’art qui est le sien, le cheikh enchaîne : une touchia «noubet essoltane», un insiraf andalou, une première «refda». S’ensuit la cérémonie du «henné» au moyen d’un «najma eddoudja aâassas» magistralement interprétée, puis, à l’heure du sebouhi, une «refda» qui te va à merveille. «Al Rbîiya», autant dire un hymne à «Moh Raber» le printanier. Je me rappelle comme si cela datait d’hier du cheikh clamant à la face de Moh souriant : «koum wanhad wastanchak tib koul nouar an malah el fejr wa ban mabsamou ». Comme tout enfant de Bab El- Oued, tu vibres pour le chaâbi et, tous les jours que Dieu fait, tu en célèbres les maîtres. Tu «goûtes» du Cardinal El Anka, tu dégustes du Amimer Ezzahi, mais El Hachemi reste ton préféré. Tu l’adores et il te le rend bien. Un moment dont j’ai été le témoin et que je ne suis pas prêt d’oublier, je te rafraîchis la mémoire : nous sommes en septembre 2001, tu passes dire bonjour à ton ami de toujours Ouahib Sekhri à la salle des fêtes El Houriya au cœur de Bab El- Oued. Nous sommes en compagnie du cheikh qui, à chacune de ses fêtes familiales des années 2001/2006, y fixe rendez- vous à son orchestre avant de partir à la rencontre de ses invités. El Hachemi que tu n’as pas vu depuis son départ en France en 1994 te salue par un «Saha Mohamed, saha el Goual. Tu écrits toujours des textes ?». Dix ans plus tard, j’apprends par la bouche de Ouahib que tu as portraituré le cheikh dans un texte melhun quelques mois avant sa disparition. Le maître en a apprécié la teneur et il te l’a dit de vive voix. Le 17 juillet 2006, il a tiré sa révérence, emportant avec lui pas mal de ses secrets dont la suite à donner à ton texte. Je ferai de mon mieux pour le retrouver et de le publier à titre posthume. Je crois savoir que le cheikh en a laissé une copie dans ses archives d'artistes. Je demanderai, le moment venu, à Chahira Guerouabi s'il existerait une trace de ce texte. Cher Moh, à l’heure de ton départ, je me targue d’avoir connu un artiste, un «fenan» de ta trempe, un pur produit de l’école de la vie. A la différence de nombre des enfants de Bab El-Oued — devenus des cadres de haut niveau —, tu n’as pas cheminé longuement dans tes études. Parce que tu aimes le printemps, tu as été un adepte de l’école buissonnière. Mais permets-moi de saluer en toi le dévoreur de livres, le lecteur vorace qui consomme à satiété tout ce qui se produit comme littérature et romans. Si «Le Livre d’Or» — boutique de livres anciens et d'occasions, sis avenue Ahmed-Boubella (ex-La Marne) — était toujours de ce monde, elle aurait arboré ta fiche client. Une fiche à l’allure de beau palmarès livresque : «Les Mots» de Sartre dont on célèbre le 34e anniversaire de sa disparition, «Le Rouge et le Noir» de Stendhal, «Les Fleurs du mal» de Baudelaire, etc. Tu es un passionné de belles lettres et ta page Facebook — que tu laisses orpheline — témoigne à ton crédit. Tu y laisses un texte qui se passe de commentaires, je te cite : «Écrire est un don, au prolongement duquel s’acquiert l’art de la ponctuation, et de là, à la consécration, apparaît, pure, de nature, la passion de l’écriture, aussi vraie que bon sang ne saurait mentir !». Allah Yarhmak ya Fenan. Journaliste, je m’enorgueillis de te compter parmi le groupe de journalistes issus de Bab El- Oued. J’ai fait comme toi l’école Condorcet de Bab-El-Oued. Tu n’as pas fréquenté l’université comme nous, mais ton talent est autrement plus rayonnant, sans commune mesure avec le nôtre. Toi, tu es billettiste et un talentueux billettiste, le stade suprême du métier cher à Théophraste Renaudot, un de tes exemples préférés. Tu ponds les mots et tu cisèles les phrases sous le pseudo de «Cheikh Rabie» ou «Ennems». En homme qui a offert bien des opportunités et cultivé bien des parcours, Abdelkader Drif t’a accueilli au "Doyen" (La revue du Mouloudia). C’est là que tu as fait ton baptême du feu journalistique avant de cheminer et d’enchaîner les rédactions : L’Opinion, Le Matin, Le Buteur, Compétition, L’Authentique et, dernier jalon en date, Mon Journal. Cher Moh, tu as choisi de partir à quelques jours de la finale de la Coupe d’Algérie entre le Mouloudia de tes amours et l’USMA de tes voisins. Je sais pour avoir discuté avec toi, chez Ouahib, à l’occasion du mariage de ton fils que le cœur n’y est plus. Le Mouloudia que tu as aimé depuis ton enfance, le Mouloudia pour lequel tu t’es mobilisé en 1985 pour le faire remonter en première division a perdu un peu de sa superbe. Inutile de t’en rappeler, ici, les raisons, tu les connais mieux que moi. Je préfère que tu partes vers ta dernière demeure avec l’image du grand Mouloudia, le Mouloudia tel que voulu par les pères fondateurs : un Mouloudia triomphaliste, moral et fonctionnant comme une famille d’honneur, une école d’éducation et une école de la vie. Notre ami commun Ouahib, que j’ai eu au bout du fil alors qu’il revenait du cimetière El Kettar où tu te reposes désormais, m’a rappelé quelques temps forts de ton engagement mouloudéen. Je le cite parlant de toi : «C’est Moh Raber qui, dans les années heureuses, avait rédigé le règlement intérieur du Comité de supporters du Mouloudia dont il était secrétaire général. C’est lui qui, à l’occasion du 70e anniversaire du club, avait écrit et lu un émouvant poème en guise de voyage dans l’histoire des Verts et Rouge. C’était au Théâtre de verdure. Il avait lu son texte avant de laisser place à un artiste usmiste faire la fête du Mouloudia. C’était El Hachemi Guerouabi». Tu pars en nous léguant, nous les enfants de ton quartier, une très belle histoire d’amour. Je m’en rappellerai toujours parce que ton immeuble est à quelques pâtés d’immeubles du mien. Parce que nous avons vécu en membres d’une même famille, parce que tu es mon grand frère et parce que ton épouse et la mère de tes enfants est ma grande sœur, permets-moi — moi qui suis ton cadet de sept ans — de te rappeler ceci et je sais que ça va te faire plaisir : je me rappellerai toujours vos rencontres — ton épouse et toi — alors que vous n’êtes pas encore mariés. Tous les jours, tu vas l’attendre à la sortie du lycée. Avant de l’accompagner chez elle, vous faites un petit tour ensemble. Connaissant la règle, tu prends congé d’elle sans oser t’approcher de son immeuble. De loin, tu veilles jalousement sur ta préférée et tu ne lèves l’ancre qu’après l’avoir vue pénétrer dans l’immeuble. Quelle belle histoire d’amour mes amis !, dis-je à l’époque à mes potes Moh Benkhaoula dit «Moh yeux bleus» et Abderrezak Bekkai. Au cœur de Bab- El-Oued, une histoire de Romeo et Juliette ou de Qaïs et Leïla. Ces derniers jours, plus que jamais fidèle, ton épouse a été aux petits soins avec toi. Elle t’a donné trois beaux enfants, deux garçons et une fille, tous mariés et parents d’enfants qui pleurent leur PAPI de Moh. Adieu Rossignol, adieu, Ya El Moknine Ezzine, ton oiseau préféré que tu laisses orphelin à la bourse des oiseaux des Trois-Horloges. 

     

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