• La Doyenne des supporteurs Mouloudéens

    La Doyenne des supporteurs Mouloudéens

    Salhi Messaouda Née Aliane.

    Doyenne de la Citadelle au parcours impressionnant

     

    «Il y a 100 ans, je vivais à La Casbah»

     

     

    Parcours

     

    Mère courage, Messaouda, qui va boucler ses 102 ans, a traversé le siècle dernier avec ses bruits et ses fureurs, ses tragédies et ses humeurs !
    Elle est mère de cinq garçons et une fille et arrière-grand-mère, dont la lignée a atteint 103 enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants.

    Elle a vécu à La Casbah d’Alger qu’elle raconte d’une manière exquise. Elle a effectué le hadj à deux reprises du temps de l’occupant français en ralliant les Lieux Saints en avion et par bateau.

    Elle compte 6 omras, dont la dernière en 2015 à l’âge de 100 ans. Entourée de l’affection des siens, elle n’a pas changé d’un iota ses habitudes et son comportement exemplaire.

    La Doyenne des supporteurs Mouloudéens

    «Toujours l’audace a forcé le triomphe. vaincus sont ceux qui n’espèrent pas vaincre.» J. Olmero

     

    Elle est née en 1915 à Beni Slimane, près de Tablat. A l’âge de 3 ans, toute la famille est venue s’installer à Douéra dans une grande maison, «Dar el facteur», implantée dans une superficie d’un hectare d’arbres fruitiers. A la mort de sa mère alors qu’elle n’avait que 5 ans, la famille a vendu ce bien pour aller s’installer à Safardina (lire saint Ferdinand, l’actuelle Souidania).

     

    «Quand notre père allait travailler, il fermait la porte à clef et nous laissait seuls, mes frères Ahmed, Mohamed et moi, jusqu’à son retour et nous préparait toujours le même plat de pomme de terre. Mon père s’est remarié et on s’est installés à Sidi Ben Ali dans La Casbah. Mon père a réussi à avoir une table au marché Nelson de Bab El Oued, où il vendait des agrumes et des fruits. A sa vieillesse, il ne pouvait plus escalader tous les escaliers de La Casbah. Il a loué une maison au quartier Macmahon, rue de la Marine qui s’illustrait par ses maisons turques, avec des patios, des balcons intérieurs, des chambres à l’étage.

     

    J’étais encore enfant. En face, il y avait une maison ancienne appartenant à Bach Ammar occupée par des Italiens, des Espagnols et des Juifs. Le rez-de-chaussée servait de magasins tenus par des Mozabites qui y logeaient. Le propriétaire avait assigné les occupants à quitter les lieux à cause de la vétusté, mais sans résultat. Une nuit, à 0 heure, cette maison s’est effondrée et tous les occupants ont péri. Cela s’est passé en 1927.»

     

    Mariée en 1930 à l’âge de 15 ans

    En 1930, Messaouda se marie avec Salhi Rabah dit El Ouahrani, mais la transcription à l’état civil ne s’est faite qu’en 1933 après la naissance de son premier fils Omar. La mariée était venue avec une caisse décorée et peinte en vert avec serrure. Quelques «sourdis» constituaient la dot. «Mon mari me laissait 4 douros pour les dépenses de la semaine. Mon mari Rabah Salhi avait une table à Meissonnier en 1931.

     

    La famille avait loué une maison à l’impasse Caton appartenant à Moh Tach, dont l’épouse Yamna m’a beaucoup aidée non seulement pour m’occuper de mon bébé Omar, mais aussi pour m’apprendre à cuisiner, car je ne connaissais rien dans ce domaine. Une voisine, en allant acheter des chaussures à la rue d’Isly a été percutée par le tramay, laissant derrière elle une fille de 10 ans, Zahia ; comme la petite n’avait plus personne, c’est moi et Yamna qui l’avions recueillie. Elle est restée jusqu’à son mariage avec un autre orphelin.

     

    Dans cet espace, habitait avec nous Abdelkrim Dali qui a animé la fête de mariage des orphelins.» Messaouda recueillera d’autres orphelins. «Dans l’impasse, il y avait une maison qui appartenait à une femme qui s’appelait ‘‘El Maakra’’ et dont le mur était mitoyen à notre habitation. Elle vivait avec sa sœur.»

     

    L’histoire légendaire des deux sœurs est racontée dans les menus détails parmi les voisins ; il y avait Meriem Fekaye, la célèbre chanteuse des années 1930, et son frère Messaoud Kerarsi. Fekaye était un pseudonyme, car il était honteux et impudique pour une femme de chanter, d’ailleurs, son frère ne lui adressait plus la parole.

     

    C’est la chanteuse Tetma de Tlemcen qui a transmis le chant à Meriem, qui à son tour a appris à Fadila Dziria le chant algérois. Les fêtes se passaient dans les «wast eddar» avec des chanteurs de chaâbi comme Omar Mekraza, El Anka, M’rizek, Hadj Menouer. Les Juifs faisaient les mêmes fêtes animées par les mêmes chanteurs. Les soirées étaient consacrées aux «boukalate».

     

    Les jeunes filles et jeunes femmes se regroupaient, emplissaient une jarre dans sept fontaines de La Casbah et y mettaient sept brins de bois, recueillis de sept portes, le tout recouvert par la chéchia d’un célibataire. La jarre était posée par quatre pouces de deux femmes, la jarre tournoyait et les autres femmes introduisaient dans la jarre un objet personnel, bague, bouton, et chacune d’elles, secrètement, faisait un vœu. Les soirées se poursuivaient tard dans la nuit.

     

    La famille a déménagé à la rue de Chartres où est né Mohamed en 1935 pour retourner à la rue Caton où est né Athmane en 1948. Enfin, la famille s’établit au 7, rue du Lézard dans la Basse-Casbah. «Cette rue est renommée par son théâtre d’où sont sortis les artistes et comédiens, comme Latifa, Sidi Ali Fernandel, Mustapha Kateb, Mahieddine Bachtarzi, Mohamed Touri... Dans notre immeuble, il y avait des familles juives, les Hadjadj, Patrick Timsit, Arkadi…Les relations étaient courtoises et de bon voisinage. Le mariage de la sœur d’Arkadi était animé par Lily Abbaci avec son piano. Dans l’appartement de nos voisins les Arkadi, mon fils Athmane a passé sa soirée sous le piano.

     

    Il avait 7 ans. Les accouchements se faisaient à domicile. Omar et Athmane ont eu les services d’une voisine, Mme Marie Koursi, de confession israélite. La rue du Lézard regroupait en majorité des Juifs qui tenaient leur commerce à la rue de Chartres.

     

    Leur synagogue se trouvait à la rue du Lézard, avec accès rue Boutin. Le propriétaire de notre immeuble était Timsit. La concierge était la mère d’Alexandre Arkadi, dite Khalti Drifa. J’ai le souvenir de l’arrestation de mon fils Mohamed chargé par le FLN de la collecte des fonds auprès des commerçants. Les militaires étaient venus à 2h du matin, ont pris Omar puis Mohamed, qui ont été torturés dans la villa d’El Biar tristement connue, puis à la caserne de Beni Messous, enfin au centre de Téfeschoun.

     

    Omar a écopé de 2 ans et Mohamed de 6 mois.» Après leur déménagement au Frais Vallon, les Salhi ont été continuellement harcelés par les forces d’occupation du fait du rôle de leur demeure, point de repli et cache des personne recherchées, comme Rouchaï Boualem, Si Zoubir et un cousin du chanteur Guerrouabi.

     

    Son fils Mohamed, recherché, a miraculeusement échappé à la traque des militaires venus l’arrêter à la maison. Par une porte dérobée, il a réussi à gagner le mont Sidi Medjber auquel est adossée la maison et a rejoint le maquis après un passage par Belcourt. Malheureusement, quatre mois après, il a été arrêté à Médéa ; il a été incarcéré à la prison de Damiette et condamné à mort. Il n’a été relâché qu’à l’indépendance. Il est mort le 8 novembre 1998 des suites d’une maladie.

     

    Durant la période des ultras de l’OAS qui plaçaient des bombes devant les magasins et maisons arabes, Messaouda passait ses nuits derrière les persiennes à faire le guet. Une fois, elle s’est aperçue de la tentative d’un motard qui voulait placer une bombe. Elle a commencé à crier, faisant fuir l’intrus.

     

    La deuxième fois, elle a réussi à les chasser, mais la bombe mise sous un véhicule Panhard a explosé et le capot de la voiture fut éjecté juste au seuil de sa maison. Avec ses enfants et ses 103 petits-fils et arrière-petits-fils, Messaouda qui a effectué le pèlerinage à La Mecque à deux reprises par bateau et en avion, a à son actif 6 omras, dont la dernière remonte à 2015 à l’âge de 100 ans...

     

    Elle était thérapeute en utilisant la médecine traditionnelle avec ses potions magiques et ses recettes de grand-mère. Elle était souvent sollicitée par sa famille, ses voisins qui connaissaient sa renommée en la matière, pour soigner un mal de tête récurrent, des douleurs gastriques d’un bébé qui n’arrête pas de pleurer ou encore d’autres pathologies qu’elle décelait rapidement et dont elle seule connaissait la thérapie grâce à des herbes qu’elle glanait à Djebel Koukou ou chez les herboristes. Messaouda était aussi accoucheuse, sollicitée par les voisins.

     

    Elle s’occupait des ablutions et lavait les mortes. Elle était tricoteuse, pour gagner quelques sous, elle confectionnait des tricots en laine qu’elle vendait aux GI lors de leur débarquement à Alger en 1942. Messaouda était sollicitée pour faire la médiation et la conciliation entre les couples, les familles et les parents en rupture.

     

    La Casbah solidaire

     

    Elle était préparatrice en cuisine lors des réjouissances, elle roulait le couscous et préparait les gâteaux de toutes sortes, notamment les gâteaux aux amandes dont elle avait appris les recettes chez ses voisines, les familles juives. Toute cette panoplie d’activités n’aura pas raison de sa santé préservée grâce à une hygiène de vie exemplaire qui explique cette longévité. «Vous savez, c’est simple, vous faites juste ce que vous devez faire en prenant soin de votre hygiène et en remerciant toujours Dieu», résume-t-elle simplement.

     

    Elle dont l’enfance a été portée à découvrir la compassion et la misère de ses semblables, réduits à servir les autres dans un environnement marqué par les privations, les tourments et les déchirements. «On a su surmonter toutes nos peurs grâce à notre foi, notre abnégation et nos sacrifices», explique-t-elle, elle qui a failli mourir lors de l’épidémie du typhus qui frappa Alger en 1936 et qui lui a valu plusieurs jours d’hospitalisation, mais qui emporta plusieurs membres de sa famille.

     

    De toutes les qualités dont elle peut s’enorgueillir, celle d’avoir appris à ses enfants et à ses proches à regarder et à aimer les autres, à partager. «Elle nous a inculqué le don de soi. Affectueuse et prévenante, mais aussi exigeante, car elle a appris de la vie qu’elle peut être une souffrance, si on ne peut pas prendre soin d’elle», confesse Brahim, l’un de ses fils. D’ailleurs, et ce n’est que justice, tous ses enfants lui vouent une profonde reconnaissance. La vie a parfois dispersé ses enfants sans jamais dissoudre le ciment qui les unit et les rassemble en entretenant leur âme d’enfant.

     

    «Toute cette union sacrée nous vient de notre éducation que nous sommes fiers de transmettre, comme une ‘‘amana’’ à nos enfants.» Avec elle, l’ombre du bonheur finit toujours par être plus longue que l’ombre de l’angoisse, avons-nous déduit du discours plein de tendresse émis par ses enfants. «A La Casbah, lancent-ils à l’unisson, il n’y avait pas que des familles, mais une grande famille où l’entraide et la solidarité n’étaient pas un vain mot.»

     

    Supportrice du Mouloudia d’Alger

     

    Insoupçonné l’amour de Messaouda pour le MCA dont elle est toujours supportrice, sans doute la doyenne. «Le Mouloudia est né en 1921 à la veille du Mouloud à la rue de la Lyre, jour anniversaire de la naissance du Prophète Mohamed (QSSSL), premier des sept jours où l’on décore les maisons et l’on chante des poèmes composés en l’honneur de l’Envoyé de Dieu.

     

    Le Mouloudia était le fier représentant des musulmans. Il incarnait le combat contre les colons avec leurs équipes comme le Gallia, ASSB, le SCUEB... Au début, c’était laborieux, d’autant que cette création n’était pas du goût des dignitaires religieux qui y voyaient un détournement du devoir sacré. Il a fallu un appel émanant du cheïkh El Okbi, du Nadi Ettaraki, pour admettre la pratique contre les fléaux sociaux.

     

    Il a fallu presque 10 ans au Mouloudia pour s’affirmer. Et quand il a battu le RUA, équipe phare des colons en 1932, c’était l’euphorie à La Casbah où les youyous fusaient de partout ; comme les femmes ne pouvaient aller au stade, elles avaient trouvé là un moyen inespéré pour s’extérioriser et exorciser leur peur. C’était la même atmosphère, lorsque le MCA flirtait avec la victoire. Mais, lorsqu’il jouait contre l’USMA à partir de 1937, tout le monde souhaitait le match nul. La victoire des boxeurs Kouidri, Bob Omar ou Bob Youcef faisait lever La Casbah.

     

    C’était notre revanche contre les brimades et les humiliations de l’occupant.» Pour Messaouda, c’est clair aussi loin qu’elle remonte dans sa mémoire, elle a toujours cru aux vertus de l’altruisme et du souci des autres. Simple, attentive, généreuse, exigeante avec elle-même et indulgente pour autrui, elle a appris à ses enfants le sens de l’effort et la liberté pour soi et pour les autres. Comme sa mémoire est intacte, elle a accepté pour nous de croquer sur le vif les étapes qui l’ont marquée tout au long du siècle dernier... Elle se rappelle du centenaire fêté avec faste en 1930.

     

    Un défilé des militaires au Champ-de-manœuvres et la fantasia à l’hippodrome du Caroubier : «Ils pensaient qu’ils allaient rester indéfiniment.» Quelques mois auparavant, l’Emir Khaled qui faisait de la résistance était parti pour l’exil. Mais après les festivités, retour à l’amère réalité. Chacun à sa place. Deux sociétés, deux espaces qui cohabitent mais qui ne se mélangent pas.

     Autre fait marquant, l’assassinat du muphti d’Alger, Kahoul, qui officiait à Djamaâ Sidi Ramdane. Le meurtre avait fait grand bruit à l’époque. Il précédait la tenue du congrès musulman en 1936. Et puis, il y a eu les massacres de 1945 qui ont montré le vrai visage hideux du colonialisme. Enfin, la délivrance grâce à l’indépendance en 1962 qui restera le fait majeur du siècle pour notre jeune pays.

     

    Portrait in El Watan le 20.07.2017

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